Jaguar - Partie 3/6

Publié le par Sélène Alys

Le soir même, elle était au rendez-vous, intégralement vêtue de noir. Elle allait devoir se fondre dans la nature et essayer de suivre l’inconnu, tout en prenant ses photos…
-J’aurais aimé que vous oubliiez ce rendez-vous, dit l’homme en surgissant de nulle part devant elle.
Lui aussi était vêtu de noir des pieds à la tête. Vêtements un peu trop moulants à son goût, mais il devait avoir ses raisons.
-Je ne raterais un tel rendez-vous pour rien au monde.
Son expression resta impassible, mais il sembla à Sonia qu’il y avait une lueur d’amusement dans ses yeux.
Bien sûr, il devait se moquer d’elle. Lui qui pouvait devenir jaguar n’avait rien à craindre d’une femme comme elle…
-Comment dois-je vous appeler ? demanda-t-elle soudain. J’en ai assez de penser à vous comme à « l’inconnu ».
-Est-il nécessaire que vous m’appeliez ?
-Oui. Si vous allez trop vite pour moi, je veux au moins avoir un nom à insulter.
Cette fois-ci, il sourit franchement, et ses dents brillèrent dans la lueur du crépuscule.
-Appelez-moi comme vous le désirez, mademoiselle.
Il pencha la tête de côté en la scrutant, en attente de sa décision.
-Je n’ai jamais su donner de noms… Je peux simplement vous appeler Jaguar ?
Il rit.
-Original, railla-t-il.
Elle se renfrogna et grommela :
-Ça vaut toujours mieux que John ou Smith.
Elle boudait, mais elle était heureuse de le voir d’aussi bonne humeur. Il lui avait fait tellement peur dans son bureau qu’elle avait craint qu’il ne change d’avis et qu’il ne la tut tout simplement. Par chance, il semblait être un homme de parole.
-Très bien, Sonia, appelez-moi donc Jaguar. Au moins, il n’y aura aucune ambiguïté possible.
Il s’approcha d’elle alors qu’elle se demandait comment il avait bien pu connaitre son prénom et qu’elle réalisait qu’il avait dû le lire sur la plaque de son bureau.
-Je vais vous montrer un endroit où peu de gens se rendent. Assez difficile d’accès, mais avec une vue imprenable sur la cascade. J’espère que vous être une sportive, mademoiselle. Moi je n’aurais aucun problème à m’y rendre, mais vous…
-J’y arriverais, affirma-t-elle en se disant en son for intérieur qu’elle était sans doute un peu trop présomptueuse.
Il sourit encore et lui tourna le dos sans un mot de plus.
-Comment avez-vous retrouvée ma trace ? demanda-t-elle alors qu’il lui faisait signe de la suivre et qu’elle lui emboitait le pas.
-Je vous ai pistée.
-Pistée ?
-Je suis un jaguar, mademoiselle. Pister une humaine est bien plus facile que de pister un lapin. Même si les odeurs des villes perturbent un peu mon odorat…
-Vous m’avez pistée en ville ? Comme jaguar ?
Il éclata de rire et elle se dit que s’il était si peu discret, elle ne risquait pas de croiser beaucoup d’animaux cette nuit.
-Si j’étais allé en ville comme jaguar, mademoiselle, je serais sans doute retourné entre les mains de votre ami Philippe. Mon odorat est quasiment le même en tant qu’homme en tant qu’animal.
Elle se félicita d’avoir pris une bonne douche avant de partir. Elle ne savait pas exactement ce qu’il pouvait sentir, mais sait-on jamais…
Il la fit passer par des endroits improbables. Il se déplaçait avec une grâce féline, qu’elle était bien incapable d’imiter. Il était aussi agile et fort qu’il ne l’était sous forme de jaguar. Sous ses vêtements moulants, elle voyait rouler ses muscles comme elle avait vu rouler ceux du jaguar la première nuit de leur rencontre. Depuis qu’il s’était tut, il avait totalement cessé de faire du bruit. Comme un animal en chasse… Il ne marchait jamais sur une brindille ni ne heurtait une branche. Une fois qu’il était passé, bien malin celui qui aurait pu retrouver sa trace.
Il était plus gentil avec elle qu’il ne l’avait laissé présager. Lorsqu’il s’était rendu compte qu’elle avançait moins vite que lui, il avait ralentit, et restait toujours à portée de main pour pouvoir la rattraper si elle trébuchait. Dans les passages les plus difficiles, il la portait presque à bout de bras, sans efforts apparents. Ils grimpèrent ainsi ce qui aux yeux de Sonia était une falaise et aux yeux de Jaguar une simple pente un peu plus ardue que les autres, et rampèrent au fond d’une caverne que, sous sa forme animale, Jaguar ne devait avoir aucun problème à arpenter. Sonia voulut allumer sa lampe de poche, mais Jaguar l’en empêcha.  En grommelant, elle lui dit que si lui était nyctalope, ce n’était pas son cas.
-Marchez dans mes pas et ne relevez pas la tête, ça suffira.
Enfin, ils arrivèrent à l’endroit promis.
C’était si beau qu’elle resta d’abord bouche bée avant de déclarer stupidement :
-C’est magnifique.
Elle s’assit à coté de Jaguar, qui l’avait précédé sur le sol mouillé.
Ils se trouvaient sur un îlot de terre en plein milieu du fleuve qui traversait la forêt. A quelques mètres d’eux à peine se trouvait une cascade. Dans la nuit, le bruit de la chute d’eau était encore plus beau que de jour. Autour d’elle, à bonne distance et avec prudence, buvaient des animaux sauvages. Cela ne dura guère car l’odeur des deux intrus les fit fuir presque instantanément. Plus tard, Jaguar lui expliquera que c’était sa propre odeur qui, même sous forme humaine, était celle d’un prédateur, qui les avait fait partir. L’îlot portait bien son nom : il y avait à peine la place pour eux deux, et bientôt, ils furent tous deux trempés jusqu’aux os. En tendant la main, elle pouvait faire glisser l’eau entre ses doigts. Elle faillit même tomber à l’eau. Ce fut Jaguar qui la retint d’une main ferme. Trop ferme. Elle grimaça de douleur sous la puissante poigne de l’homme, qui s’excusa avec un sourire confus.  Visiblement, il était aussi plus fort que la moyenne.
-Vous ne prenez pas de photos ? demanda-t-il.
Elle avait son appareil sur les genoux. Pourtant, elle ne bougea pas.
-C’est si beau… je n’arriverais jamais à retranscrire une telle splendeur.
-Vous devriez au moins essayer. Je ne vous ramènerais plus jamais ici.
Elle hocha la tête sans perdre une miette du spectacle.
Au bout d’un long moment de silence, Jaguar s’étendit à terre, le corps enroulé autour du sien, et ferma les yeux.
-Lorsque vous voudrez partir, réveillez-moi, marmonna-t-il.
Alors seulement, elle réalisa qu’il avait faillit mourir deux fois en deux jours, et qu’il n’avait peut-être pas eut vraiment le temps de se reposer. Elle hésita à lui demander de partir de suite, mais c’était la seule fois où elle pourrait venir ici… Elle le laissa donc dormir. Etrangement, la proximité de Jaguar ne la dérangeait pas, bien au contraire. S’il s’était lové plus près d’elle…
Elle secoua la tête et pris son appareil photo. Il avait raison : elle devait au moins essayer de figer cette beauté sur papier glacé.
Au plus profond de la nuit, Jaguar n’avait toujours pas bougé. Elle se releva pour se décontracter les jambes et le dos. Surplombant Jaguar, elle ce dit que l’image de cet homme endormi et de l’eau autour de lui, comme s’il n’y avait aucune terre entre eux, serait jolie.
Lorsque le soleil se leva, elle réalisa qu’elle n’avait pas dormi du tout. Les rayons du soleil se posant sur le visage de Jaguar le réveillèrent en douceur.
-Déjà ? marmonna-t-il d’une voix endormie.
Il se leva, endormit, puis se pencha au dessus de l’eau, y plongea la main et bu.
-Vous avez bien dormit ? demanda-t-elle d’une voix douce.
-Je dors toujours mieux quand le corps d’une femme est pressé contre le mien, répliqua-t-il.
Elle rougit, réalisa qu’elle ne l’avait pas quitté des yeux et se détourna.
-Il faudrait que vous me rameniez…
-Vous vous sentez capable de faire le même chemin en sens inverse ?
Au souvenir de la falaise, elle faillit dire non, puis se ravisa.
-Bien sur !
-Très bien. Alors allons-y.
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Sonia observait son écran d’ordinateur sans le voir.
Cette nuit avait passée comme dans un rêve. Une telle paix régnait en cet endroit que le brouhaha des locaux du journal lui paraissait insupportable.
-C’est ton visiteur d’hier ?
Elle sursauta alors que Paul était penché sur son ordinateur, à contempler la photo qui y était affichée. Celle où Jaguar dormait entouré par les eaux…
Confuse, elle la fit disparaitre immédiatement.
-Oui, marmonna-t-elle.
-Tu a des photos pour Bob ? demanda-t-il. Il ne peut plus te couvrir.
-Oui… Oui, j’ai quelques photos…
Elle montra à Paul celles qu’elle avait prises durant la nuit. Certains animaux étaient revenus au bord du fleuve et elle en avait profité pour les photographier.
-Bob va adorer ! fit Paul, enthousiaste.
Il partit avec les photos, que Sonia avait faites passer dans une clef USB. Seule deux manquaient à l’appel : la cascade vu de l’îlot et Jaguar.
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Le lendemain soir, elle retourna à la rivière. Elle espérait revoir Jaguar. Ils ne s’étaient pas donné rendez-vous, et pourtant, elle espérait le retrouver. Au fond d’elle-même, elle essayait de se persuader que tout ce qu’elle désirait, c’étaient des photos de la même qualité que celles prise à leur denier – et unique - rendez-vous. Pourtant, une partie d’elle-même savait que ce qu’elle voulait, c’était simplement le revoir. Cela faisait deux jours qu’elle ne pensait qu’à lui. Elle avait été surprise plusieurs fois à contempler sa photo sur son ordinateur au lieu de travailler.
Elle s’assit face à la rivière, le regard perdu dans les eaux claires. Elle avait tellement envie de le revoir…
-Que faites-vous ici ?
Elle sursauta au son de cette voix chargée de sauvagerie. Ce n’était pas le ton qu’elle connaissait…
Sans se retourner, inconsciente du fait qu’elle avait un prédateur dans son dos, elle répliqua d’un ton boudeur, les bras serrés autour de ses genoux repliés :
-Vous m’avez promis de belles photos.
-N’est-ce pas ce que vous avez eu la dernière fois ?
Elle secoua la tête négativement.
-C’était jolie la dernière fois, mais ça ne suffit pas. Je suis censée être une photographe animalière, pas naturaliste.
-Beaucoup d’animaux sont passés à porté d’objectif, pourtant.
Il vint s’asseoir à coté d’elle, sans la regarder. Il observait les eaux, lui aussi. Ses yeux brillaient d’une lueur étrange, indéfinissable. Il avait de la terre et de l’herbe sur la paume des mains et les avant-bras.
-Vous étiez un jaguar ? demanda-t-elle sans y penser.
Elle plaqua sa main sur sa bouche avec un air horrifié. Peut-être n’était-ce pas la meilleure question à poser…
Il lui sourit avec indulgence, cette lueur indéfinissable toujours présente dans les yeux.
-A quoi voyez-vous cela ?
Elle lui désigna ses mains d’un mouvement de tête :
-Ah oui… Malheureusement, si la fourrure d’un jaguar se nettoie toute seule, ce n’est pas le cas pour ses pattes. J’oublie, parfois…
Il se frotta les mains les unes contre les autres pour se débarrasser de la terre. En le regardant faire, se disant qu’il l’arrêterait si ses questions lui paraissaient trop indiscrètes, elle demanda encore :
-Qu’est-ce que ça fait d’être un jaguar ?
Il plongea son regard dans le sien, très sérieux :
-Ça donne l’impression d’être tout puissant. L’impression que rien ni personne ne peux vous faire de mal. On oublie tous les petits tracas de sa vie d’homme pour se concentrer sur sa vie animale. On chasse, on traquer, on profite de la nature telle qu’elle est apparue aux premiers jours. On peut faire ce qu’aucun homme ne pourrait réaliser. On est… libre. Totalement libre. Surtout ici, en France. Je suis sans doute le seul jaguar libre de ce pays. Il n’y a aucun animal d’ici capable de rivaliser avec ma puissance. Vos loups ne sont rien face à moi.
Il détourna les yeux, réalisant enfin qu’il la mettait mal à l’aise à parler ainsi. Pourtant, elle voulait en savoir plus :
-Comment êtes-vous devenu ainsi ? Je veux dire… Vous êtes né ainsi ou vous l’êtes devenu par la suite ?
Il se contenta de lui sourire et de se lever. Elle se rendit compte qu’il portait les mêmes vêtements que la dernière fois. Remarquant son regard intrigué, il précisa :
-Les vêtements moulants me permettent de ne pas être nu après une transformation. Le jaguar les compare à sa fourrure et les garde. Ça sauve ma pudeur.
Il lui tendit la main pour l’aider à se relever :
-Rentrez chez vous, mademoiselle. Pour ce soir, croyez-moi, ça vaudra mieux.
Alors seulement, elle comprit quelle était cette lueur.
C’était l’expression d’un prédateur prêt à bondir.
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Galant, il l’avait raccompagnée jusqu’à sa voiture et ne l’avait pas quittée des yeux jusqu’à ce qu’elle-même le perde de vue. Elle ne voulait pas penser à ce qu’il était en train de faire maintenant. Elle était tellement consciente de ne pas pouvoir partager ça avec lui…
Elle roula jusqu’à chez elle enfermée dans de moroses pensées. Une partie d’elle-même s’inquiétait de le savoir seul en forêt, et une autre se rappeler que c’était un jaguar. N’avait-il pas dit qu’il était le plus grand prédateur de cette forêt ? Que les loups ne faisaient pas le poids face à lui ? Bon, ce n’étaient passes termes exacts… mais l’idée était la même, non ?
Il ne craignait rien… absolument rien…
Oui, mais… il avait déjà été blessé deux fois… une fois par des chasseurs, et l’autre…
Elle freina brusquement devant chez elle.
Elle ne savait pas comment il avait été blessé la première fois…
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-Des morsures et des griffures ? Tu es sûr ?
Dans les couloirs du journal, son téléphone portable collé à l’oreille, elle marchait de long en large en évitant des éventuels passants.
-Je connais mon métier, répliqua Philippe d’une voix excédée. Il s’était battu avec un animal. Un gros. Mais je ne peux pas te dire ce que c’était, exactement…
-Pourquoi ?
-Parce que dans cette forêt, on ne trouve que des loups. Et ça ne ressemblait pas du tout à leurs morsures. Plutôt à celle d’un gros félin. Peut-être un autre jaguar. Ou un animal de la même taille. Il s’est peut-être battu avant de s’enfuir, peut-être que c’est comme ça que sa cage s’est ouverte. Je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, rien dans cette forêt n’a pu le mettre dans cet état. Pas même les multiples chutes qu’il a faites.
-Des chutes ?
-Oui. C’était un animal plutôt costaud, alors il s’en est sortit avec un petit boitillement, mais il a dû tomber de très haut. Et se trainer dans les sous-bois jusqu’à toi. Il y avait pas mal de bouts de branches emmêlés dans ses blessures et sa fourrure.
Quelques minutes plus tard, elle raccrocha, en se disant qu’elle devrait aborder le sujet avec Jaguar. S’il y avait quelque chose de dangereux pour lui dans cette forêt, elle ne pouvait pas le laisser continuer à s’y rendre.
A aucun moment elle ne pensa que quelque chose capable de mettre un jaguar dans cet état ne ferait qu’une bouchée d’elle…
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Le soir même, elle se retrouvait au bord de la rivière, attendant impatiemment que Jaguar la remarque et vienne la voir. Encore une fois, elle ne l’avait pas entendu arriver lorsqu’il s’assit à coté d’elle avec la grâce toute féline à laquelle elle pensait ne jamais pouvoir s’habituer.
-Toujours à la recherche de photos ? demanda-t-il sèchement.
-Non.
Cette réponse sembla le surprendre, et il perdit une seconde son masque d’impassibilité.
Elle se tourna vers lui, son anxiété parfaitement lisible sur son visage et dans la raideur de son corps.
-Philippe… Mon ami vétérinaire… il m’a dit que les blessures que vous vous êtes faites à notre première rencontre… Il a dit que ce n’étaient pas des morsures de loups. Que vous vous êtes battu avec un animal bien plus fort qu’un loup…
 -Et alors ?
L’œil vide, il la regardait comme s’il ne comprenait pas l’intérêt de ce qu’elle lui disait… ou comme s’il s’en fichait.
-Et alors ? Vous aviez dit que rien dans les forêts françaises n’était plus fort qu’un jaguar !
Elle s’était redressée, le surplombant de toute sa hauteur, penchée vers lui, en prononçant ces mots d’un ton rageur.
-Ai-je réellement dit ça ? Non, mademoiselle. J’ai dit que dans les forêts françaises, le plus grand prédateur était le loup, et qu’il ne faisait pas le poids face à moi. Je n’ai jamais dit qu’il n’y avait aucun danger pour moi dans vos forêts.
Il tapota le sol à côté de lui, doucement, et elle se rassit.
-Réfléchissez un peu, mademoiselle. Croyez-vous réellement que quelqu’un comme moi ne court aucun danger ? Je ne suis pas unique, et c’est bien le problème. Si c’était le cas, alors oui, je serais en paix. Mais non. Les chasseurs et les loups ne sont pas mes seuls adversaires.  Comprenez bien cela mademoiselle : je ne suis pas un animal comme les autres. Si le jaguar n’a rien à craindre des autres animaux, il a à craindre des hommes.
Il se perdit dans la contemplation des eaux, le regard lointain, fixé sur des souvenirs inaccessibles à Sonia.
-Vous ne pouvez pas continuer ainsi, murmura-t-elle, horrifiée par ce qu’elle venait d’entendre. Cet animal… votre ennemi… un jour, il vous aura…
Il se redressa d’un coup et l’observa, les lèvres serrés, la mâchoire crispée. Elle l’avait mis en colère…
-Il ne m’aura pas, Sonia. Il ne m’aura jamais. Il ne le peut pas. Il ne fait pas le poids face à moi.
-Il a faillit vous tuer ! s’écria-t-elle en se dressant de nouveau.
Ils étaient à quelques centimètres l’un de l’autre, et la colère de jaguar était telle qu’elle ne pu s’empêcher de faire quelques pas en arrière. Dans ses yeux ambrés luisait la couleur de la fureur. Qui savait ce qu’il était capable de faire si elle le poussait à bouts ?
-Il n’y est pas parvenu. Il n’y parviendra jamais.
Il commença à s’éloigner d’elle d’un pas rageur, visiblement incapable de continuer cette conversation.
-Vous ne devez pas continuer à venir ici si ça vous met en danger !
Il s’arrêta net et se retourna vers elle. Dans l’obscurité, seuls ses yeux étaient encore visibles. Et ils n’étaient pas rassurants du tout.
-Comment comptez-vous m’en empêcher, mademoiselle ? Je suis un animal sauvage. Je n’obéis à aucune règle, et certainement pas aux vôtre. Le jaguar est un animal solitaire. Moi aussi. Ne me forcez pas à vous faire sortir de ma vie.
Cela aurait pu sonner comme un menace, et à vrai dire, c’était effrayant, mais pas dans le sens où elle risquait sa vie à le contrarier. Non, c’était effrayant parce qu’il pouvait bien décider de ne plus l’approcher. Et ça, par-dessus tout, elle ne le voulait pas.
L’air se mit à bouger autour d’elle, un cri silencieux parvint à ses oreilles, accompagné d’un chant mystique inaudible. Sa peau la picota et, devant elle, Jaguar se transformait. Peut être parce qu’elle savait plus ou moins à quoi s’attendre, peut-être faisait-il exprès de se transformer plus lentement, en tout cas, cette fois-ci, aucune étape de la mutation ne lui échappa. Et, pendant tout ce temps, les chants et les cris ne cessaient pas.
Quand ce fut fini, un jaguar noir se dressait devant elle, magnifique dans l’obscurité, ses yeux luisant de prédateurs encore plus inquiétant maintenant. Il feula une fois vers elle et s’en fut dans l’obscurité.
Restée seule, elle tomba à genoux, les jambes coupées par ce qu’elle venait de voir. Un spectacle à la fois magnifique et repoussant. Le corps tordu de Jaguar ne quittait pas ses yeux, et pourtant, elle voyait aussi sa beauté, tant en tant qu’homme qu’en tant que jaguar. Les mains plaquées sur sa bouche pour étouffer un sanglot dont elle ne connaissait pas la véritable raison, les joues inondées de larmes dont elle ne remarquait pas la présence, elle murmura pour elle-même :
-Que vous est-il arrivé, Jaguar ? Que vous est-il arrivé ?
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-Je suis désolé, lui dit Paul quelques jours plus tard. Tu ne me donnes pas assez d’informations. Je ne peux pas retrouver la trace de cet homme avec seulement une description physique.
  Elle se prit la tête entre les mains, désespérée. Paul, toujours aussi gentil, vint lui tapoter l’épaule pour la réconforter.
-Si je peux faire quoi que ce soit… quoi que ce soit d’autre, je veux dire…
-Tu ne peux rien faire, marmonna-t-elle. J’aurais dû… je ne sais pas. Surveiller mes paroles, peut-être.
Ce qu’elle craignait était arrivé. Pendants plusieurs nuits, elle s’était rendue à la rivière, avec rivé au cœur l’espoir de le voir la rejoindre et de pouvoir s’excuser. Elle aurait dû y penser. Elle ne le connaissait pas assez pour pouvoir se permettre de lui parler comme elle l’avait fait.
Paul s’assit sur l’unique chaise qui faisait face au bureau de Sonia et s’accouda au meuble.
-C’est qui, cet homme, en fait ? Ton amoureux ?
A ces mots, elle le fusilla du regard :
-Si c’était mon amoureux, je connaîtrais son nom.
Il la contempla un instant, pris son inspiration puis dit :
-Pourtant, tu agis comme si c’était le cas… Je veux dire, ça fait combien de temps qu’on se connait ? Dix ans ? A chaque fois que tu a eu une déception amoureuse, tu agis comme ça : tu soupires, tu souffles, tu déprimes, et tu me demandes de faire des recherches. C’est vrai que c’est la première fois que tu me demandes d’en faire sur un homme, mais c’est un peu comme d’habitude… Et cette photo sur ton ordinateur… Tu passes ton temps à la contempler, avec cet air désespéré que tout le monde ici te connais bien. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tu peux me le dire, tu sais. Je n’ai jamais rien répété de ce que tu as pu me raconter…
C’était vrai. Paul était ce qui se rapprochait le plus d’un ami, pour elle. Depuis des années, elle lui racontait ses déboires amoureux, et inversement. Il avait toujours été de bon conseil. Le serait-il cette fois-ci aussi ?
-Je ne sais pas quoi te dire, s’excusa-t-elle. C’est difficile à expliquer… Je ne peux pas entrer dans les détails, mais… En gros, en s’est disputés. Je m’inquiète pour lui. Je sais qu’il risque sa vie, seulement je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, je ne sais pas à cause de qui. Je lui ai demandé d’arrêter, et il s’est énervé. Il est partit et depuis, je ne l’ai plus revu. Je ne sais vraiment pas quoi faire…
-C’est un criminel ?
-Non !
Elle avait répondu automatiquement, mais en vérité, que savait-elle de lui ? Peut-être en était-il un… Après réflexion, oui, il en était un, n’avait-il pas assassinés deux chasseurs ? Les informations avaient dis qu’une bête sauvage les avaient tués, mais en même temps, Jaguar lui-même ne lui avait pas confirmé que c’était lui. Il avait été attaqué par un animal plus puissant qu’un loup… peut-être était-ce celui-ci qui avait tués les chasseurs…
Elle l’espérait…
-Je ne sais pas, finit-elle par dire. Je ne sais pas…
-Il sait comment te trouver ?
Elle acquiesça silencieusement.
-Tu devrais peut-être attendre un peu… le laisser réfléchir… S’il est dans une situation délicate, c’est normal qu’il ne veuille pas t’impliquer, tu ne penses pas ? Peut-être qu’il s’est énervé juste parce que tu as deviné. Tu travail dans un journal, peut-être qu’il pense que tu n’es pas seulement photographe…
-Non. Il sait que je ne suis rien de plus que ça.
-Je ne fais qu’émettre des suppositions, répliqua Paul. Tu ne connais pas son nom, peut-être que tu le connais moins bien que ce que tu penses, comme lui ne doit pas réellement te connaitre. Ecoute… Laisse passer un peu de temps… Laisse le réfléchir, et laisse-toi le temps de réfléchir. C’est le mieux que tu as à faire.
-Tu pense ?
-J’en suis certain.
Elle posa sa tête sur ses bras, qu’elle avait croisés sur le bureau, pensive.
-Mais j’ai envie de le voir…
Paul lui tapota gentiment la tête :
-Tu finiras par le revoir. Quand il ne t’en voudra plus.
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Le conseil de Paul semblait bon, mais il était très difficile à suivre. Chaque fois qu’elle quittait le journal, elle avait envie de faire un crochet par la forêt et leur point de rendez-vous favori. Quand elle rentrait chez elle, elle observait les ombres, avec l’espoir d’y trouver ses merveilleux yeux ambrés. Chaque fois, elle résistait et était déçue.
Elle savait que s’il ne le désirait pas, elle ne le reverrait pas. Elle n’y avait pas pris garde, mais il n’avait laissé transparaitre absolument aucunes informations sur lui quand ils étaient ensemble. Lui seul était capable de la retrouver. Lui seul était capable de se montrer. Elle, tout ce qu’elle pouvait faire, c’était ne pas disparaitre, ne pas changer ses habitudes. Et être prête à lui parler s’il se montrait enfin.
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Chaque nuit, elle observait la tombée du crépuscule en se disant que Jaguar devait être en train de chasser. Ou d’être traqué par cette chose qui l’avait blessé et qu’il prétendait ne pas craindre.
Assise sur le rebord de la fenêtre de la salle à manger de son appartement, les bras croisés sur son torse, elle contemplait le soleil couchant. Beau spectacle… Qui avait été bien plus merveilleux observé depuis la forêt, avec Jaguar à ses côtés…
Elle secoua la tête pour chasser cette pensée. Jaguar l’avait faite sortir de sa vie. Il y avait peu de chance pour qu’il change d’avis, maintenant.
Cela faisait deux mois qu’il avait disparu. Elle avait suivit le conseil de Paul  à la lettre. Aujourd’hui, elle se demandait si elle ne devait pas retourner près de la rivière. Peut-être Jaguar lui avait-il pardonné. Peut-être se montrerait-il, cette fois-ci. Ou peut-être l’avait-il oubliée… C’était plus probable. Qu’était-elle pour lui ? Une femme parmi tant d’autres. Alors qu’il était le seul et unique homme capable de se transformer en jaguar qu’elle connaissait. Peut-être était-ce pour cela qu’elle regrettait tant de ne plus le voir… à moins que, comme Paul continuait à le penser, elle ne soit tombée amoureuse de lui…
Avec un soupir de dépit, elle cessa sa contemplation et quitta le rebord de la fenêtre, dont elle laissa la fenêtre ouverte.
-Il n’est pas bon d’être si imprudente.
Sonia se figea. La voix si chaude, si masculine, si sauvage était reconnaissable entre milles. Il était le seul à pouvoir la surprendre d’une telle manière.
Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Larmes de joies, et non de peur.
Il ne l’avait pas abandonnée.
Pour la première fois, elle entendit sur le sol le bruit des pas de Jaguar. Son léger, aussi léger que celui d’un chat.
-Vous ne devriez pas laisser votre fenêtre ouverte lorsque vous êtes seule, ajouta-t-il. Vous êtes si vulnérable…
-Pourquoi êtes-vous ici ? le coupa-t-elle brusquement.
S’il s’approchait, il verrait ses yeux briller de larmes. A moins qu’il n’entende les battements désordonnés de son cœur ? Il était un prédateur, sa vue était déjà meilleure que la moyenne, sa grâce aussi, pourquoi pas son ouïe ?
Il stoppa son approche. Elle se dit vaguement que le jaguar était un prédateur qui se tapissait dans l’ombre pour attaquer. Elle se donner l’impression d’un lapin pris dans un collet. Pourquoi ? Simplement parce qu’il était derrière elle et qu’elle ne le voyait pas ? Ou parce qu’il avait pu entrer chez elle sans qu’elle puisse rien y faire, sans même qu’elle s’y attende ?
-Je suis ici pour me faire pardonner.
-Vous faire pardonner ?
Alors qu’elle ne voulait surtout pas lui montrer son visage, elle ne put s’empêcher de se retourner pour voir s’il se moquait d’elle. Au contraire, il avait l’air très sérieux.
Comme la vue de ses yeux à la couleur ambre lui avait manquée !
-Oui. Pour me faire pardonner. Pour la dernière fois. J’ai mal réagit. Il était normal que vous finissiez par me poser ces questions… J’avais espéré que ça n’arrive pas, mais…
Il parut hésiter, butter sur les mots, puis repris :
-Ecoutez… Je ne peux rien vous dire. Absolument rien. Rien de mon passé, ni de ma vie d’aujourd’hui. NI pourquoi je suis ainsi, ni comment ça fonctionne.
-Pourquoi ? demanda-t-elle dans un souffle.
-Parce que vous ne me croiriez pas. Ce secret… Nous le gardons depuis bien longtemps, et nous ne voulons pas qu’il apparaisse au grand jour. Ça n’a rien à voir avec vous, au fond. Je n’ai rien contre vous, au contraire. Si je le pouvais, je vous raconterais tout. Mais c’est impossible. Tout simplement impossible. Je suis désolé.
Et il semblait l’être réellement.
-Je suis désolée de vous avoir énervé. Je ne pensais pas que ce que je vous demandais était si important pour vous. Si grave.
Il eut un petit sourire sans joie.
-Vous ne pouviez pas le savoir. Après y avoir longuement réfléchi, j’ai fini par réaliser que vous ne pouviez pas connaitre des règles dont je ne vous avais jamais parlées.
-Vous voulez dire : ne rien vous demander ?
Il acquiesça silencieusement.
-J’ai fini par le comprendre. Pendant tout ce temps où je n’ai pas pu vous voir…
Elle baissa la tête, rougissante. Elle n’avait pas voulu donner un accent de regret à ses paroles.
Il lui prit le menton dans les mains et la força à relever la tête, ajoutant à son trouble :
-Je voudrais vous montrer quelque chose. Pour me faire réellement pardonner.

 

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